L’impact de la stratégie d’entreprise au niveau du collaborateur

Un ami me racontait dernièrement que lors de son récent entretien annuel, il lui avait été indiqué qu’il ne serait augmenté que de 1%. Et cela non pas en raison de ses performances propres (tous ses objectifs étant largement dépassés), mais parce que la société n’avait pas fait de résultat sur l’exercice précédent.

Pour rappel, dans notre milieu l’augmentation d’un bon élément qui a sur-performé tourne traditionnellement autour de 10%. On a donc naturellement tendance à voir son pourcentage d’augmentation comme une note sur 10 de son activité. Et 1/10, ça ne fait pas un beau bulletin pour quelqu’un qui s’est arraché toute l’année !

Alors si en première lecture on peut complétement comprendre que la direction ne souhaite pas dépenser de l’argent qu’elle n’a pas (notez qu’une entreprise n’a pas le droit d’être à découvert), on peut tout de même s’interroger sur pourquoi il n’y a pas d’argent alors qu’apparemment les collaborateurs performent ?

Dans une scène de ZombieLand, Un homme essuie ses larmes avec des billets

Et s’il y a des bonnes raisons, principalement découlant de facteurs externes comme la morosité du marché, ou des investissements qui généreront de la valeur à moyen/long terme, il y en a aussi des mauvaises, qui brulent le cash sans apporter de valeur : erreurs de recrutement et/ou de management qui finissent aux prud’hommes ou en indemnités de licenciement, organisation interne qui tue la motivation et l’efficacité, surexposition de l’entreprise sur des forfaits foireux qui plombent la marge (il ne suffit pas de remporter les forfaits les gens, surtout si ça vous met dans des conditions économiques non viables), mauvais positionnement des produits (taux trop bas, offres dépassées…), faiblesse du pipe commercial alors que le secteur est au beau fixe, investissements trop importants dans la structure qui plombent la marge, voire également des événements non intrinsèquement mauvais mais ayant un impact drastique sur la structure (rachats, cessions), etc…

Le point commun entre tout ça ? Ce sont des conséquences de choix stratégiques de la direction. Et si ces choix mangent le bénéfice, et que ça empêche les collaborateurs d’être augmentés, je trouve que ça pose un problème.

Alors ok, la direction n’a pas non plus été augmentée depuis 5 ans. Mais en fait c’est assez logique: si l’entreprise ne fait pas de résultat alors que le marché se porte bien, c’est qu’ils ne méritent pas d’être augmentés. Par ailleurs ne soyons pas naïfs, on est bien tous conscients qu’il existe des méthodes pour faire redescendre le cash autrement.

Walter White - You got me

Notez que ce qui me gêne ce n’est pas tant le gel des salaires des salariés. Diriger une entreprise c’est un métier difficile. Il faut prendre des risques alors que les conséquences sont graves. Et comme pour toute autre activité humaine, de temps en temps on se plante. Or quand on perd, cela se traduit par une perte de la valeur générée par les collaborateurs, et dans certains cas, une des méthodes pour éviter le dépôt de bilan c’est bien de geler les salaires. Sincèrement je n’envie pas ceux parmi les dirigeants qui ont un minimum d’empathie, et qui perdent rapidement le sommeil devant ce genre de situation.

Non, ce qui me gêne c’est qu’il apparaisse comme normal à certains dirigeants d’utiliser la masse salariale comme tampon dans ces situations, que ce soit sur les augmentations et les embauches (ou plutôt leurs absences), voir les licenciements. Personnellement je trouve ça problématique. En effet la boucle de feedback est cassée: ceux qui payent ne sont pas ceux qui ont la responsabilité de la situation, ni la capacité à corriger le tir.

Et là je vois 2 solutions :

Et comme d’habitude, si ce n’est pas applicable, ne pas hésiter à changer de crèmerie 😉

Sketch Vines de Jordan Burt sur la confiance

Dilbert du 2013-08-08

Nouvelle stratégie à la rentrée 🙂

Traduction approximative:

Assistante: Alors, que vous voulait le PDG?

Boss: Il a une nouvelle stratégie, mais elle m’a l’air bien vague.

Assistante: Qu’en penseront les salariés?

Boss: Ils se moquent de ce genre de chose.

Assistante: Et votre rôle dans tout ça?

Boss: Nous les managers, nous sommes le ciment liant les objectifs abscons à l’apathie générale.

Après la dette technique, la dette sociale, l’autre ennemie du patron de SSII

On parle souvent de dette technique, cette expression maintenant bien connue qui propose que tout raccourci technique pris à l’instant t est en fait un emprunt de temps qu’il faudra rembourser, avec intérêt, dans le futur, en corrections d’anomalie ou refonte obligatoire avant évolution.

Je commence à penser que dans notre microcosme de consultants, on peut également parler de dette sociale. Évidemment je parle pour les consultants informatiques en SSII, mais je ne doute pas une seconde que cela s’étende à tout collaborateur employé.

 Dilbert du 2013-02-08

Vous vous souvenez que plus tôt nous discutions de la marge dégagée par un consultant, et de comment il pouvait être rageant de comparer sa rémunération aux montants que l’on facture. Si en y regardant de plus près on se rendait bien compte que cette marge n’était pas aussi importante que ce qu’on pouvait croire, il restait quand même un peu d’argent à la fin du mois dont on aurait aimé profiter malgré tout.

Et c’est là je pense qu’on peut parler de dette sociale : ce qu’un patron va pouvoir économiser sur les augmentations, les formations, l’équipement (PC, téléphones, licences…), les avantages (CE, remboursement des frais ou tickets resto), … il le payera forcément plus tard, en démissions ou négociations salariales en force (celles du genre : « j’ai reçu une proposition à tant, soit vous faîtes la même soit je démissionne »).

Rechercher l’optimisation à outrance de cette marge, à la fois en serrant sa masse salariale (les salaires et primes) et en consacrant une part minime du reste aux collaborateurs, est une stratégie à court-terme risquée qui employée en dehors d’instants très spécifiques (création d’une société, faiblesse économique ponctuelle) tuera à coup sûr la croissance à moyen terme. Parce qu’il ne faut pas l’oublier, le chiffre d’affaire d’une SSII est directement proportionnel à son nombre de consultants. Une démission c’est une perte nette de chiffre d’affaire.

Manifestations de Mai 68

Patron, on a un problème dans l’open space…

Récapitulons :

  • Dette technique : on code à la va vite une évolution avec un patch un peu vilain plutôt que modifier proprement la solution ? Le retour de bâton viendra sur l’anomalie en théorie impossible, qu’on mettra 3 fois plus de temps à diagnostiquer parce qu’on aura oublié la petite verrue bien cachée.
  • Dette sociale : on choisit une mutuelle au rabais et on refuse des congés à ses collaborateurs ? Le retour de bâton viendra au moment de lancer un nouveau grand projet, quand 3 démissions tomberont en même temps et qu’on n’aura plus personne capable d’encadrer les juniors déployés.

De mon côté, nous avons mis en place plusieurs éléments qui je l’espère contribuent à minimiser cette dette sociale. Deux éléments parmi d’autres : une certaine transparence sur le chiffre d’affaire et tout le calcul de la marge, pour visualiser effectivement combien d’argent reste sur le compte à la fin du mois. Également au programme, un partage équitable de la marge finale entre les collaborateurs (individuellement, par les primes), les clients (à travers un budget dédié à l’amélioration continue du groupe), et les actionnaires.

Pour certains c’est du détail, voire un risque, de mon côté je crois que ce sont des pratiques vitales pour générer un esprit de corps et permettre à chacun de s’inscrire dans le long terme avec l’entreprise. Donc attention à ne pas négliger cette dette sociale, au risque d’un réveil douloureux le moment venu de payer les intérêts…

La BI ça vous gagne : Le Best-Of 2012 !

Comme l’année dernière, et comme vu à la télé, il est venu le temps des best-of de fin d’année 🙂

Voici donc une sélection de vos et mes articles préférés de La BI ça vous gagne en 2012, dans le désordre :

Consulting

Décisionnel / IT

Stratégie / Management

Hors sujet

J’encourage vivement tous mes copains de blogroll à faire de même, au boulot les gars !

Et pour finir, je vous souhaite à tous une très bonne année 2013 😉

Penser sa SSII autrement – Investir dans ses collaborateurs

Alors que la fin d’année arrive, avec ses entretiens annuels, ses augmentations et ses calculs de primes, une discussion revient régulièrement sur le tapis entre consultants : celle de la répartition du cash dans son entreprise.

Parce que lorsqu’on facture 600€ par jour, plus de 200 jours par an, soit plus de 100’000€ de chiffre d’affaires, en étant payé 50’000€ bruts et qu’on s’entend dire que la société n’a pas les moyens de payer les primes cette année, ça surprend toujours.

Comité de direction

Cette année c’est le comité de direction qui décidera des primes.

Faisons donc le calcul dans cette hypothèse. En 2012 il y a eu 254 jours ouvrables, avec 11 RTT et 25 jours de congés payés ça laisse 218 jours facturables. Pour un profil confirmé déployé sur missions de 6 mois, on peut tout à fait imaginer 210 jours effectivement facturés sans trop de problème. Ça laisse quelques jours de transition entre les 2 missions, plus 2 jours de présence aux Journées SQL Server 😉 Notre profil confirmé facture à 600€/jour (pas génial mais c’est la crise nous dit-on…), soit un chiffre d’affaire de 126K€. Côté charge, on va inclure les cotisations patronales dans le salaire (*1,44), et passer de 50K€ brut à 72K€. Là-dessus on ajoute une participation aux frais de structures (salaires des non productifs, fonctionnement, loyers, matériel…) qui s’estime par tradition à 20% de ce montant, et les charges arrivent à 86,4K€. On obtient donc un résultat avant impôt de 39,6K€, imposé à 30%, ce qui fait un résultat net de 27K€ (32% de rentabilité, résultat net / salaire total). Alors évidemment il faut prendre ça avec un rocher de sel, puisqu’on pose beaucoup d’hypothèses pour arriver à ce chiffre, dont certaines qui peuvent tout changer au résultat. Par exemple il est assez contestable d’appliquer l’impôt sur le résultat au niveau du consultant plutôt qu’au niveau de la société, puisqu’il peut s’annuler si la marge de notre consultant rattrape le manque à gagner d’un autre pôle en déficit. De même pour la contribution aux frais de fonctionnement, en fonction de l’efficacité / la gourmandise du management, le montant peut vraiment exploser.

 Dilbert du 27/05/2012

Quoi qu’il en soit, notre consultant génère un montant X net qu’on estimera à 27K€ / an, la question étant donc que faire de cet argent. Et c’est très bien puisque c’est là où je voulais en venir avec cet article ! Dans le mode de gestion actuel des SSII, les employés n’ont aucune idée de ce que devient cette marge, ni même au minimum de la manière dont elle se ventilera. Et je trouve ça bien dommage (dit l’employé qui n’a pas encore été patron ;)). Car si les postes de dépenses sont facilement identifiables, c’est dans la répartition que s’exprimera les valeurs du management. Notez que je ne suis pas l’inventeur de cette vision, je ne fais que la relayer. Les postes les voici, sans ordre particulier :

  • Les actionnaires, sans eux rien n’aurait été possible, il est normal qu’ils perçoivent un retour sur leur investissement initial
  • Les clients, évidemment de manière indirecte, par exemple par l’augmentation de la qualité du service rendu, la qualité du SAV ou du marketing…
  • Les collaborateurs, on va en parler !

Notez que je n’indique pas de poste spécifique pour le management / la direction. Leurs services sont payés par la contribution de 20%, et ils sont évidemment dans la catégorie « collaborateurs » avec tous les autres. De la même manière je n’inclus pas de poste « société », qui couvrirait la constitution et l’entretien des besoins techniques court terme comme le fonds de roulement, ni les réserves pour procéder à des investissements moyen et long termes. Cela fait partie également de la contribution de 20% aux frais de fonctionnement. Pendant les périodes fluctuantes de la vie de la société, on peut envisager d’augmenter la contribution pour couvrir tous ces besoins. Typiquement, lors des 2 premières années, il est nécessaire de constituer le fonds de roulement, et de se créer des réserves en cas d’arrêt temporaire de l’activité (3 à 6 mois sans facturation par exemple). Toute la marge y passe, et c’est normal. De même pendant un creux d’activité, et en gros à chaque fois que la survie de l’entreprise est en question.

La crise de 29

MSemploy.fr – Ah non ! C’était en 29 ça.

Mais lorsqu’on est dans une période stable du cycle de vie de l’entreprise, il est normal de ventiler la marge réalisée sur les 3 postes identifiés, pourquoi pas de manière équitable ? Pour cet article nous sommes en vision collaborateur, voyons donc ce que cela donne. Si notre consultant confirmé a généré 27K€ de résultat, et qu’on considère qu’un tiers de ce résultat devrait lui être consacré, cela représente 9’000€. Que faire avec ce montant ?

  • Verser une prime ? Attention 1’000€ de prime nette représentent quasiment le double payé par l’employeur, soit pas loin de 2’000€
  • Pour un consultant, acheter des bouquins, des abonnements (MSDN, Projet Botticelli…) ou bien l’équiper des dernières technologies, PC, smartphone… 2’000€
  • Payer une formation, attention à compter le prix de la formation et le cout de la non facturation, le manque à gagner en quelque sorte. Soit 3’000 + 600*3, grosso modo 5’000€ pour 2 ou 3 jours avec Marco Russo, Alberto Ferrari ou Chris Webb. Pas cher pour être formé par les meilleurs mondiaux.
  • Plus quelques jours au siège à ne pas facturer pour bosser en R&D (et pas sur les projets internes de la direction)

Et voilà. C’est vite parti ! Ça n’a peut-être l’air de pas grand-chose, mais je ne connais pas beaucoup de SSII qui investissent « autant » dans leurs collaborateurs. C’était mon premier point. Le fait qu’il me paraît normal qu’une partie non négligeable de la marge générée par le collaborateur lui soit consacrée dans l’amélioration de son environnement de travail et de sa compétence. Le fait également que cette quantité n’est pas aussi importante que la plupart des consultants peuvent le croire. Tout du moins pendant cette période de « crise », avec des acheteurs qui torturent les taux de facturation et des patrons de SSII qui consacrent une part trop importante de la marge à constituer des réserves par peur de la fin du monde. Le deuxième point, c’est ce fameux 20% de contribution dont on parle tout du long du calcul. J’ai envie d’arrêter de le considérer comme une taxe sur l’activité du consultant, et plutôt le voir comme une prestation que le collaborateur achèterait à l’entreprise et dont elle devrait justifier le prix. On en reparle plus tard 😉

4 liens rapides pour la semaine (2012-31)

Pas mal de très bons articles en ce moment, le choix a été difficile!

  1. L’excellente lettre du CEO de BuzzFeed qui explique le positionnement de sa start-up, relayée par Chris Dixon, via Jason Kottke. La lecture stratégie de la semaine.
  2. Par Hunter Walk: recruter sans entretien. Je suis vraiment partisan de cette nouvelle manière de penser: l’entretien n’est pas l’examen unique et ultime du recrutement, ce n’est que l’étape intermédiaire entre tester rapidement les candidatures pour éviter de perdre son temps (le manque de confiance qu’on peut avoir aujourd’hui dans les CV me désole, surtout au niveau des SSII) et travailler ensemble, avec le futur collaborateur/consultant, sur un vrai sujet, pour appréhender sa vraie valeur.
  3. Dan Ariely sur l’hypocrisie morale qui accompagne le pouvoir. Attention à ne pas tomber dans le piège soi-même! Un beau contre exemple en passant: l’humilité de l’avocat de Jack Daniels pour faire respecter son trademark.
  4. Enfin, Dan Wineman qui se lache sur VMware. Et il arrive à caser la pyramide de Maslow dans sa diatribe. Respect 😉

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