L’économie de l’abondance, ou comment le piratage n’est qu’une conséquence logique de la loi de l’offre et la demande

L’envie d’écrire cet article n’est pas nouvelle. Elle me vient à chaque fois qu’on me demande d’expliquer ou justifier mes idées « provocantes » sur le piratage, le copyright, les brevets, les maisons de disques ou HADOPI. En somme tout ce qui concerne la propriété intellectuelle et plus globalement l’économie de l’intangible, que ce soit pour les films, la musique, les logiciels et même nos prestations de consultants.

Ce que je vais vous rapporter ici, c’est une traduction / vulgarisation de ce qui est pour moi l’idée fondamentale de l’économie du 21ème siècle, rien que ça ! Celui qui a formulé les choses d’une manière qui m’a permis de les comprendre c’est Mike Masnick de Techdirt, dès 2007. Je ne pense pas qu’il ait inventé le concept, il a plutôt été un des premiers à formuler cette théorie et à présenter des arguments factuels clairs pour la défendre. Pour ceux qui suivent, Techdirt je l’avais pris comme exemple dans l’article sur la vérité essentielle du business.

Techdirt

Je vais faire un petit disclaimer avant de commencer : en dehors des quelques cours d’économie qu’un ingénieur peut recevoir dans ses 6 mois de spécialisation « ingénierie des affaires », je n’ai aucun background sérieux dans le domaine. Par contre je lis beaucoup (beaucoup) d’articles sur le sujet, que ce soit d’auteurs et de publications prestigieuses, ou simplement de personnes qui racontent leur vécu, que je vous fais d’ailleurs régulièrement partager sur ce blog à travers les 4 liens de la semaine.

Tout ça pour dire que mon avis vaut celui d’un autre, le vôtre par exemple, et que je vais vous laisser apprécier cette théorie comme bon vous semble, sans aucun jugement.

Si vous avez un peu de temps, et que l’anglais ne vous fait pas peur, vous vous devez de m’abandonner et d’aller lire la série d’articles originale (MàJ 20/08/2012 : cette série est également disponible en ebook à partir de 0€). C’est long, il y en a beaucoup, mais pourquoi lire une copie si vous pouvez aller à la source ? Par contre si vous savez que ça finira dans votre Instapaper sans être jamais lu, accrochez-vous un peu et continuez ici.

L’introduction est terminée, on peut y aller 😉

Dilbert sur les idées et leur implémentation

Mike Masnick a commencé sa série d’article par une citation de Thomas Jefferson que je vais traduire approximativement ici :

« S’il y a bien une chose étrangère à la propriété exclusive c’est l’action de penser, autrement appelée une idée. Un individu peut posséder une idée tant qu’il la garde en lui, mais dès qu’il la partage, elle ne peut que se diffuser, car ceux qui la reçoivent ne peuvent pas s’en séparer. Le caractère particulier d’une idée c’est que personne n’en détient une partie, puisque tous détiennent la totalité. En effet celui qui reçoit une idée de moi reçoit du savoir sans m’en prendre, comme celui qui allume sa bougie à la mienne reçoit de la lumière sans me plonger dans les ténèbres. »

Joli non ? Et ce sera notre concept de base : une idée est une ressource infinie dans la mesure où cela ne coute rien à personne de la propager (c’est le moment où les professeurs de tous les lycées, écoles et universités me détestent).

Notez bien ce que je dis : si j’ai une idée et que je veux l’avoir en double, ça ne me coute rien, il suffit d’y penser.

Notez bien que je n’ai pas dit que le coût de fabrication de l’idée originale était 0. En effet son cout initial est même certainement non nul. Mais son coût marginal, son coût de duplication, le coût de fabrication d’une ressource quand j’en dispose déjà d’une, c’est effectivement 0.

Si c’est le cas autant en faire une infinité de copie et vu que je suis dans les affaires pourquoi ne pas les vendre ? Je me retourne vers mes copains les économistes qui m’expliquent le concept simple qui dictera mon prix dans l’économie de marché : l’offre et la demande. Ici mon offre c’est l’infinité de copies de l’idée dont je dispose. Malheureusement pour moi l’équation ne va pas jouer en ma faveur sur ce coup: mon offre est infinie donc peu importe la demande, le prix va tendre vers le coût marginal, soit ici un beau 0.

Offre et Demande

L’opposé de ce dont je parle, ou comment perdre son lectorat grâce à des illustrations mal choisies

Ma situation est donc la suivante :

  • J’ai payé un cout initial pour fabriquer mon idée,
  • Maintenant que je l’ai, la dupliquer me coute 0, son coût marginal est 0,
  • Donc mon offre est infinie, d’ailleurs ce n’est pas vraiment mon offre mais plus globalement l’offre, puisque cette idée se propage sans barrière,
  • Et à offre infinie, peu importe la demande, mon prix tend vers le coût marginal, c’est à dire 0 !
  • Je suis triste ! Comment rembourser ma mise initiale ?

La transposition de cette théorie aux fichiers digitaux est immédiate. Et en effet, les maisons de disques et l’industrie du film seront plutôt tristes :

  • Elles ont fabriqué des albums et des films à plusieurs millions de dollars pièce
  • Une fois réalisées, ces œuvres coutent 0 à dupliquer (au format électronique, la copie d’un MP3 ou d’un divx)
  • Donc l’offre est infinie
  • Et à offre infinie, le prix tend vers 0  (piratage)
  • Oups…

On pause 30 secondes pour bien laisser les choses se mettre en place.

Je suis une maison de disque, j’ai payé 2 millions de $ pour produire un disque, je fabrique et vends quelques CD, quelqu’un en fait un MP3, il se multiplie à l’infini sur Internet, plus personne n’achète mes CD, j’ai perdu tout mon investissement initial.

Oh oui, j'ai la rage

J’ai la rage, c’est normal. Je crie à l’injustice, c’est normal. Certes, mais c’était écrit dans les premiers chapitres des bouquins d’économie : l’offre et la demande. Tout ce que l’équation attendait c’était de mettre un 0 dans le cout marginal : soit une ressource infinie comme une idée ou un fichier informatique.

Que faire ? Lutter contre le piratage ? Le problème c’est que ce comportement économique, le « piratage », c’est un comportement imparable, incontournable dans l’économie des biens infinis. C’est prédit par la modélisation la plus basique de l’économie de marché. La lutte va être dure…

Alors certains ont essayé d’utiliser des arguments moraux « Vous devez payer parce que sinon les artistes mourront de faim, c’est la chose juste ! ». Bien essayé, mais n’importe quel homme d’affaires vous dira que si votre business plan comporte une hypothèse de moralité pour fonctionner, vous êtes cuit. Raté donc.

Une autre idée ça a été de mettre des DRM partout, vous savez ces mécanismes censés empêcher la copie. Très bonne idée, tout du moins d’un point de vue théorique. Si ces verrous empêchent la copie, on réintroduit ainsi un coût de duplication dans l’équation. En effet on augmente le coût marginal artificiellement et on empêche l’offre d’être infinie. Très malin. Mais dans la réalité autant essayer d’arrêter un ruisseau à mains nues, confère Jefferson : il suffit d’une seule copie qui s’échappe pour que l’offre redevienne infinie, et rien ne peut arrêter ça. Et je ne parlerai pas ici de la perte de fonctionnalité pour les utilisateurs « légaux », qui doivent subir le DRM alors qu’ils ont payé. On retrouve là le jeu du chat et de la souris entre les producteurs de contenu et les pirates, c’est l’état actuel des choses.

The Dark Knight... cries?

Même le Dark Knight il n’arrive pas à faire plier le piratage…

La solution est pourtant simple : arrêter de lutter contre les lois économiques, arrêter de vouloir vendre des biens infinis. Ce qu’il faut c’est repartir de la base, analyser son produit pour comprendre quels sont ses composants infinis et quels sont ses composants finis, et se servir des premiers pour vendre les seconds.

Il est facile d’illustrer ça pour certaines professions : les musiciens/écrivains distribuent librement leurs musiques/livres de manière électronique (infinis) pour se faire connaître et vendre des places de concerts / séminaires et conférences (finis) ainsi que des jolis objets collectors comme des CD / livres dédicacés (finis). Ça paraît logique qu’on y pense. Parce qu’après tout, un consultant pour gagner de l’argent ça doit consulter, un médecin ça doit soigner, un policier ça doit policer, ce n’est pas choquant de se dire qu’un musicien pour gagner sa vie ça doit jouer de la musique non ? Avec son instrument ? Devant un public ?

Evidemment c’est un retour aux sources, avec un rappel violent que pour réussir il faut être bon et authentique dans ce qu’on fait. Sans budget marketing illimité, sans matraquage télé et radio, il faut du travail, de la persévérance et une certaine dose de talent. Un peu comme pour tous les autres métiers en fait.

Alors je le disais, la solution est simple : je prends mon produit, j’identifie la partie abondante et je m’en sers comme support marketing pour vendre la partie finie. Mais ce processus est douloureux quand on doit se remettre à travailler sincèrement, d’autant plus si on est habitué à toucher une rente sans rien produire de nouveau depuis longtemps.

On le voit, cette nouvelle économie impose de repenser son business model. Et je l’avoue volontiers, pour certaines industries on ne sait pas encore exactement comment ça va se terminer. Pour l’industrie du film par exemple, les choses sont loin d’être évidentes. Pour eux le champ de bataille est encore recouvert d’un brouillard de fumée qui ne permet pas très bien de voir ce qu’il se passe. Cela dit, vu les résultats du box office depuis une dizaine d’années, je ne crois pas qu’ils soient tant à plaindre que ça. La morosité des chiffres peut autant s’expliquer par la faible qualité des films produits, que par le contexte économique qui pousse à la réduction des dépenses dans les ménages, que par le piratage.

Hotel des ventes dans Diablo 3

Cout initial 0, Cout marginal 0, Prix : 4$. Y’aurait pas un bug ?

Notez que je parle parfois d’économie de l’intangible, mais que c’est un mauvais choix de vocabulaire. Je devrais plutôt parler d’économie de l’abondance, comme le fait Mick Masnick. En effet ce n’est pas parce qu’un bien est intangible qu’il est infini. (MàJ 20/08/2012 : la notion économique sous-jacente, rappelée par Aquemy dans les commentaire, c’est celle de biens rivaux ou non). Des exemples évidents : mon temps, mon attention, ma recommandation, ma reconnaissance… Tout ça ce sont des biens intangibles qui sont loin d’être infinis. C’est important car cela explique pourquoi quand Louis CK, un comique américain, vend la vidéo de son dernier spectacle sur internet à 5$ directement sur son site web, sans DRM, je préfère l’acheter plutôt que la pirater. Pourquoi ?

  • Parce que je lui suis reconnaissant de me faire rire et que je l’aime bien,
  • Parce que je veux lui donner raison de tenter des nouvelles manières d’interagir avec son public et que j’ai envie qu’il réussisse, à la limite du militantisme en fait,
  • Parce que je gagne du temps (plutôt que de galérer à trouver le torrent, là c’est 2 clics et du direct download). D’ailleurs ça iTunes l’a bien compris : sur iTunes je n’achète pas des MP3, je paye pour ma fainéantise d’aller chercher les MP3 équivalents sur bittorrent.

Notez qu’à aucun moment je ne paye pour la vidéo en elle-même. Mais je paye quand même.

Louis CK - Comique américain

Arrête de faire la tête Louis, t’as fait 2 millions de dollars avec ta vidéo sans DRM ! On t’aime !

Enfin, et pour conclure, je voulais évoquer les prémices de la chute du dernier frein qui existait pour que ces nouveaux business models explosent. Mais si, souvenez vous, la problématique du coût initial? C’est bien beau de vouloir distribuer des MP3 gratuitement, mais d’où vient l’argent pour les produire ? La réponse nous vient des plateformes comme Kickstarter, IndieGoGo, Ulule ou KissKissBankBank (MàJ 17/08/12 suite au commentaire d’Ywen). Pour ceux qui ne connaissent pas, ce sont des sites qui permettent de demander au grand public un financement pour son projet. On crée une page qui présente le projet, on propose des formules de participation (10$, 50$…) qui apportent chacune un petit bonus (un t-shirt, un MP3 en avant-première – notez qu’on utilise ici une caractéristique intangible non infinie, l’exclusivité temporelle, pour donner de la valeur à un bien infini) et on croise les doigts en espérant que les gens apporteront leur participation financière au projet. Avec ce type de formule, le cout initial peut être couvert avant même de commencer le projet !

Et même si ça ne marche pas, avec les outils informatiques actuels, rien n’empêche de tout faire soi-même le soir après le boulot.

L’exemple parfait c’est un groupe de musiciens qui se retrouvent pour jouer après le boulot le soir et bricolent leurs MP3 sur le mac d’un des membres. Ils les distribuent librement pour se faire connaître, et une fois que ça commence à marcher (ils sont talentueux) ils montent leur premier projet Kickstarter : financer la production de leur prochain disque dans un studio professionnel. Une fois ce nouvel album disponible, ils y retournent et distribuent les MP3 fraîchement produits gratuitement sur Internet. Leur objectif cette fois-ci : développer leur audience pour garantir de remplir les salles de la petite tournée à travers la France qu’ils ont en tête. C’est le début de la gloire ! Ça ce sont des gens qui ont compris l’économie du 21ème siècle 😉

Finies les vacances!

Et voilà, les vacances c’est fini, et je dois avouer que ça été une vraie bonne coupure par rapport au boulot.

Le soleil m’a suivi dans mon périple et j’en ai profité pour rattraper des tonnes d’articles de blog en retard sur mon transat (vive l‘iPhone + Reeder + Instapaper)

J’ai également pu commencer Evolving Excellence – une compilation imprimée du blog du même nom de Kevin Meyer et Bill Waddell qui parle de lean manufacturing. Je trouve que c’est un bon premier départ pour découvrir cette philosophie du monde du travail. Comme pour l’Agilité, c’est avant tout un ensemble de valeurs, et ces valeurs m’interpellent. Je vous ferrai un retour quand j’aurai cerné le sujet 🙂

Bla bla bla, à peine rentré et je commence déjà à pontifier! Je vais calmer tout ça avec une BD ou deux et ça ira mieux 🙂

4 liens rapides pour la semaine (2010-44)

Et hop:

  1. Un article pour se mettre un coup de pied au derrière et enfin passer à l’acte : la procrastination (l’art de remettre à demain) chez You Are Not So Smart (« vous n’êtes pas si malin que ça »)
  2. 75 mots sur une carte en carton : le manuel du parfait employé chez Nordstrom. La seule et unique règle: « Dans toutes les situations, utilisez votre bon sens ».
  3. Un joli graphique qui donne des billes pour répondre à la question : Google est-il un monopole? C’est également un bon rappel de la farce qu’ont été les démantèlements des grandes industries monopolistiques aux États Unis.
  4. L’excellent article de Marco Arment, l’ancien lead-développeur de Tumblr et inventeur d’Instapaper, sur le nouveau Mac App Store (comme l’App Store de l’iPhone pour les Mac). Pourquoi je dis excellent, même si ça s’adresse principalement aux développeurs Mac? Parce que c’est un magnifique exemple d’une réaction saine d’un être humain à un changement radicale de son environnement. Comme quoi ça peut exister!

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La panoplie de l’internaute

Suite à l’ajout de Twitter à ce blog, outil que je commence seulement à utiliser, je me suis dit qu’il pourrait être intéressant de vous dévoiler les outils que j’utilise vraiment pour surfer.

Côté PC (en attendant un mac ;)) – Tout est gratuit:

  • Navigateur : Firefox. Je donne déjà assez d’info à Google comme ça pour pas utiliser Chrome, IE8 est vraiment trop à la ramasse sur le nouveau contenu (CSS3) et Opera process les pages web sur ses serveurs (y compris les authentifications…).
  • Gestionnaire de flux RSS : Google Reader. C’est malheureusement le meilleur et le mieux intégré dans l’écosystème RSS. Il nécessite un compte GMail.
    • Quand je vois un site qui me plaît, je cherche le petit logo orange RSS, je vais dans Google Reader et je l’ajoute. Dès que de nouveaux articles sont publiés sur le site, ils arrivent directement dans Google Reader. Plus besoin de garder une liste de site et de tout visiter régulièrement.
  • Favoris en ligne : Instapaper. J’adore cette appli! On s’inscrit, on ajoute un « bookmarklet » à sa barre de favoris, dès qu’on voit une page qui nous plait, on appuie dessus, et hop, elle est sauvegardée dans Instapaper! Magique!
    • Quand je vois un article qui me plaît, mais qui est trop long pour être lu immédiatement, je le marque dans Instapaper.
    • Dans Google Reader, si un article me plaît, je lui donne une étoile. S’il est trop long, je le transfère dans Instapaper. Dans Instapaper, s’il me plaît, je lui donne une étoile, sinon je le dégage.

Côté iPhone – Quelques euros :

  • Lecteur RSS : Reeder. Il s’interface magiquement avec Google Reader ET Instapaper. Facile!
    • Je précise que puisqu’il faut donner son mot de passe Google Reader à Reeder sur l’iPhone, j’ai créé une adresse GMail qui ne sert qu’à ça. Mieux vaut prévenir que se faire taper son adresse email principale 😉
  • Favoris en ligne : Instapaper pour Iphone. En plus sur l’iPhone il permet de télécharger une copie des articles sauvegardés et de pouvoir ensuite les lire offline. Juste énorme 🙂

On remarque le grand absent pour le moment: Twitter, qu’il va falloir que j’intègre une fois que j’aurai compris comment ça marche vraiment.

Avec tout ça je gère le court et le moyen terme. La seule chose qui me manque, c’est un stockage du contenu web à long terme. Si vous avez quelque chose, je suis preneur!